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Introduction: la plasticité à l’œuvre

Dans un passage de La Mer à l’envers (2019) de Marie Darrieussecq, la protagoniste Rose regarde la mer depuis son bateau de croisière, apercevant des formes dans l’eau qui l’intriguent:

Il y avait des points dedans. Des formes, encore […]. Le mot ‘dauphins’ moussait. Et maintenant elle les voyait. Elle voyait les dauphins. Leur aileron luisant, leur extraordinaire plasticité dans l’écume. Elle voyait leur corps de néoprène. Leur saut qui était leur nage même. Une dizaine de dauphins, s’amusant de la différence entre eux et le bateau, jaillissant justement de cette différence, dans une fabuleuse égalité de vitesse. Elle eut envie d’appeler ses enfants. Mais le temps qu’ils se mettent en mouvement. Tant de merveilles. Et le temps que se rassemblent d’autres passagers, les animaux surfeurs avait disparu.1

Darrieussecq emploie ici le mot ‘plasticité’ pour décrire des corps dynamiques, mouvants, vitaux. Cette plasticité semble agir au cœur d’un monde également écumeux, mutable et métamorphique où mots, formes et corps moussent et jaillissent dans la mêlée. Voilà une plasticité qualifiée d’‘extraordinaire’, qui disparaît avant que Rose, captivée, n’ait le temps d’appeler ses enfants. Si cette plasticité surgit et disparaît dans ce moment éphémère de La Mer à l’envers, la question de la transformation et de la métamorphose reste l’un des thèmes principaux dans l’œuvre de Darrieussecq depuis son premier roman Truismes, publié en 1996. Ce premier texte raconte l’histoire douloureuse et violente d’une femme qui, un jour, commence à se métamorphoser en truie, et se retrouve très vite expulsée de son travail et de la société, sans jamais vraiment comprendre pourquoi. Depuis, les écrits de Darrieussecq ont exploré les mutations psychiques et physiques du nouveau-né dans Le Bébé (2002); d’une ‘chose’ non identifiée dans la pièce de théâtre Le Musée de la mer (2009); et des êtres clonés dans Notre vie dans les forêts (2017), parmi toute une gamme d’autres mutant·e·s littéraires. Or, ce ne sont pas seulement les personnages de Darrieussecq qui semblent être toujours en voie de métamorphose, mais aussi les mondes matériels qui les entourent. Dans La Mer à l’envers, par exemple, le paysage mousseux et mutable de l’océan rencontré dans le passage ci-dessus évoque aussi peut-être, on le verra dans l’interview suivante, l’océan ‘plasmique’ dont est constituée la planète Solaris que Darrieussecq trouve si fascinante dans le roman de science-fiction éponyme de Stanisław Lem.2

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